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Olivier
#1 20-06-2010 08:47:34
- mathieu (AbTeK)
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la guerre du cèdre a commencé
La guerre du cèdre a commencé
Pour lutter contre les trafiquants de bois, des habitants du Moyen-Atlas ont décidé de s’organiser et de donner de la voix. Mais les risques sont grands pour ces militants écologistes.
Depuis Khénifra, il faut plus d’une heure et demie pour atteindre Tikajouine, alias Aït Hnini pour
l’administration. La route qui serpente sur 60 kilomètres a pourtant été récemment refaite. Mais
les pluies et, surtout, les glissements de terrain ont abîmé le revêtement tout neuf. En arrivant
dans le village, à travers la brume et les rafales de vent neigeux, on aperçoit la forêt d’Idikel,
sur le Jebel Toujjit (mont Toujjit), à plus d’une heure de marche : 4 000 hectares de cédraie
pour 4 000 habitants. Malgré cette richesse, la localité a triste mine. Après les précipitations de
la nuit, les rues sont si boueuses que tout le monde se déplace en bottes de caoutchouc. En cette
matinée glaciale, quelques enfants en retard se hâtent vers l’école, des bûches sous le bras. Ce
sont les familles qui doivent contribuer au chauffage indispensable de l’établissement, construit
en préfabriqué. Or, avec le déboisement, le bois de chauffage se fait de plus en plus rare et
commence même à se monnayer.
La belle maison en pisé de Saïd Aït Aziz, dressée en haut d’une côte, se distingue de ses voisines
en parpaings. Le propriétaire des lieux, lui aussi, est particulier. Ce paysan de 47 ans est devenu
l’ennemi numéro un de la “mafia du cèdre”. Car il ne faut pas s’y tromper, une guerre
silencieuse déchire le village depuis quelques années, opposant les défenseurs de la forêt aux
“braconniers”. Début mars, Aït Aziz a essuyé une attaque de ces derniers, sous la forme d’un
procès pour “atteinte à la sacralité du roi”. Le visage buriné éclairé par le poêle, installé dans la
pièce principale couverte de tapis de laine, il raconte paisiblement les épisodes de sa lutte contre
la destruction de la cédraie. “J’ai toujours été contre la coupe sauvage des cèdres, explique-t-il,
car les richesses de la forêt partent ailleurs, sans aucune retombée pour le développement du
village.” En 2004, il commence par avertir le caïd (notable du village) de l’ampleur du trafic de
cèdre dont il est témoin, en vain. Un an plus tard, soumis à des pressions de l’administration des
Eaux et Forêts, il décide d’adhérer à l’Association marocaine des droits humains (AMDH). L’AMDH
se saisit du problème et organise des actions de protestation. Elle aide aussi Aït Aziz à déposer
devant le tribunal des plaintes en bonne et due forme
Les gros bonnets du braconnage utilisent divers moyens pour mettre fin à ses actions militantes.
En 2007, ils lui proposent de l’argent en échange de son silence. Après avoir décliné plusieurs
offres, il subit une tentative d’incendie de sa maison. Il est agressé dans la forêt. Il porte plainte
à chaque fois. S’il doit désormais s’habituer à voir ses vitres régulièrement cassées par des
inconnus, le paysan n’est pas seul. En 2005, des instituteurs et des anciens élèves avaient créé
l’association Idikel pour l’environnement et la protection de la forêt. “Le tiers des habitants nous
détestent”, s’amuse Mouloud Ben Mouloud, instituteur. Le tiers du village, serait-ce la part de
ceux qui vivent des coupes sauvages de cèdres ? L’association Idikel et Aït Aziz ont tenté d’initier
un projet innovant de surveillance de la cédraie, qui a échoué. A l’été 2009, les Eaux et Forêts
acceptent de financer une entreprise de gardiennage pour veiller sur la forêt. Idikel, quant à
elle, est là pour se porter garante des gardiens, autrement dit pour trier le bon grain de l’ivraie :
pas question d’embaucher des trafiquants ! En revanche, les “repentis”, bienvenus pour leur
connaissance du terrain, constituent plus de la moitié de l’équipe. Aït Aziz compte parmi les 12
gardiens qui vont sillonner la zone à pied, jour et nuit, par équipes de deux. Ce qui lui a valu sa
dernière mésaventure, en janvier 2010, quand un braconnier lui a lancé : “Tu te prends pour qui
pour nous empêcher d’aller dans la forêt… pour le roi ?” Le paysan répond simplement : “Non,
mais les représentants du roi m’ont désigné pour garder la forêt” — “Ah, vous êtes tous témoins,
il se prend pour Sa Majesté !” Le gouverneur ne tarde pas à recevoir une lettre anonyme, et
ordonne l’ouverture d’une enquête. Le 25 janvier, Aït Aziz est convoqué par la gendarmerie, qui
établit un procès-verbal. Cinq “témoins” sont entendus (tous des braconniers).
“Les gens se servent eux-mêmes une part du gâteau car ils en ont assez de voir la commune
encaisser l’argent des coupes légales, sans aucune amélioration des infrastructures en
contrepartie”, explique Mouloud, l’instituteur. “Depuis dix-sept ans que je suis là, j’ai vu deux
changements : la route et l’électricité, rien de plus.” Selon un décret royal de 1976, environ 80
% de l’argent de la vente du bois revient à la commune. Or les collectivités sont censées le
réinvestir dans le reboisement. “Ici, la commune n’a aucun programme de reboisement ni de
surveillance de la cédraie, soupire Mouloud, et elle n’investit même pas dans l’école ou dans le
social.” “La réponse ne peut pas être répressive, il faut trouver des solutions par le
développement.” Chaque mètre cube de bois “premier choix” s’écoule facilement à 8 000
dirhams [800 euros], grâce à un réseau bien organisé. De l’argent facile, dans une zone qui
n’offre aucun emploi en dehors de l’agriculture traditionnelle.
Quant aux agents locaux des Eaux et Forêts, concernés au premier plan, ils plaident résolument
non coupables : ils n’ont pas suffisamment de moyens pour surveiller efficacement les 4 000
hectares. Le poste forestier compte seulement un technicien, un adjoint et deux cavaliers, en
plus de quelques gardiens occasionnels. Mais, surtout, ces fonctionnaires se plaignent que les
rares PV qu’ils parviennent à établir finissent par prendre la poussière dans le bureau du
procureur général. “La justice ne fait pas son travail”, confirme Mustapha Allaoui, membre de
l’association écologiste. “Si la mafia du cèdre était vraiment soumise à la loi et obligée de payer
les amendes prévues, on pourrait résorber le problème très vite.” Autre solution : traquer
l’écoulement de la marchandise à l’échelle nationale. Les forestiers pointent notamment du doigt
les gendarmes, qui n’interviennent pas alors que des accords ministériels les habilitent à arrêter
les trafiquants de bois là où les Eaux et Forêts ne peuvent plus intervenir. “Comment se fait-il
que les camions parviennent à l’autre bout du pays sans être arrêtés quelque part ?”
s’interrogent-ils. Le trafic a de beaux jours devant lui et la cédraie, de moins en moins. Mais, en
attendant qu’un vrai plan d’action vienne d’en haut, le clan des écolos ne perd pas espoir. Une
coordination entre l’AMDH et Idikel s’est lancée dans un programme de sensibilisation à la
protection de la cédraie, notamment auprès des jeunes. Idikel planche également sur un projet
de coopérative forestière, qui permettrait aux villageois de profiter légalement de la richesse de
la cédraie. Quant à Saïd Aït Aziz, il continue les rondes nocturnes dans “sa” forêt, avec l’espoir
de limiter un peu la disparition des arbres, dont certains sont millénaires. “Ils ne peuvent rien
contre moi, je lutterai jusqu’à la mort”, dit-il simplement.
Zoé Deback, pour COURRIER INTERNATIONAL, n°1021, juin 2010.
que peut-il nous arriver de pire, que s'il ne nous arrivait rien ?
Hors ligne
#2 20-06-2010 16:33:08
- walden
- Invité
Re: la guerre du cèdre a commencé
Résistance-existance ...