L'acte est hallucinant, et la réaction des différents acteurs impliqués ne l'est pas moins...

Bonjour à tous, ancien et nouveau du forum.
j'ai trouvé ces mots en lien avec cette disparition brutale.
On dirait du phil et ses "édito" mais c'est signé bouquin bouquine...:


J’étais un arbre !
Un centenaire, un papé. Tout de bois et de vert, bien accroché à la terre.
J’ai supporté des zguègues et vos froques baissés, quand déjà vous me pissiez dessus. Sans honte et même fier.
J’ai supporté tous les jours le balai incessant de vos charrettes de métal, qui crachent, tels des dragons indomptables, leurs fumées dégueulasses. Je m’évertuais pourtant à transformer ça en bon air.
J’ai supporté les braves moribonds qui venaient moucher la tôle et leur calandres en plein dans mon tronc, morts idiots de vitesse et de risques.
J’ai vu vos roues crevées et le crique malmené, la roue de secours manquante et les jurons fleuris.
J’ai supporté vos déchets de malbouffes balancés sans vergogne au milieu du fossé.
J’ai tenu la barre, au milieu des tempêtes, quand les vents de fin de siècles voulaient scalper les toits et peut être aussi des têtes.
J’ai supporté la guerre les bombes et les bottes.
J’avais les racines bien ancrées dans le champ d’à côté et mes feuilles et mes branches qui tendaient vers le ciel. Moi j’ai jamais vu la mer…
Humains que vous êtes. Ah ça, vous savez vous gargarisez de compliments et de superbe. Vous aimez les mots qui vous rassurent, qui font vibrer vos nombrils au son de la gloriole. La civilisation, la quintessence des êtres évolués, le progrès… Mais laissez-moi, du haut de mon assassinat et de mes cents berges, si vous permettez, vous remettre un peu d’échardes dans les yeux.
Votre progrès, c’est chier dans l’eau potable, le plus naturellement qui soit, alors que d’autres n’ont pas d’eau, même aux pieds de vos pipelines. Votre bon sens c’est d’écrire sur des petits papiers qu’il faut cesser de trucider mes congénères pour faire du… papier. Changer une enseigne rouge et clownesque de Mc Beef en vert nature et proposer du burger dans des sacs "éco-responsables" recyclés, au Drive, pour finir jetés par un monospace citoyen.
Je sais une forêt, magnifique et jadis luxuriante. Certains d’entre vous l’avaient même joliment nommé "le poumon de la terre ". Je vous annonce de belles quintes de toux à venir. Une pneumonie annoncée, mais vous continuez à la soigner avec des chenilles, des bennes et du Caterpillar. Je ne connais pas les choses du cinéma mais il me semble que le "massacre à la tronçonneuse" est un must non ? C’est curieux pourtant, c’est une histoire de zombies…
J’ai prié pour voir arriver nos armées de Ents… Mais Gandalf n'est pas arrivé sur son aigle géant. Même alors, vous n'écoutez pas les sages quand ils vous parlent, tout parés de plumes, de lances et de pagnes. Nos seuls amis humains, chamans ou chasseurs, vous les moquez. Le parking et le profit sont des dialectes auxquels ils n'entravent rien alors que vous... Oui!
Moi et trente de mes amis on nous a abattus, avec "Stihl"… Froidement, sans prévenir, sans même une croix avant, pour nous "préparer". Pas le temps de se syndiquer, de s’organiser ou d’inviter la jeunesse héroïque des ZAD. Nom d’une pipe en bois, il y a eu des sales époques où on nous débitait pour servir de bûcher ou de peloton. Aujourd’hui c’est nous qu’on abat! Sans dernière volonté et sans résistance.
Je pense aux quelques-uns qui m’ont enserrés dans leur bras pour un peu de réconfort. Je dis au revoir aussi à mes amis les piafs qui squattaient, à l’aise, mes bras noueux et qui me donnaient des nouvelles sifflantes de ce triste monde. Je pleure ma sève et j’en saigne de crever ainsi. Avant de m’éteindre complètement, j’ai appris que le convoi était exceptionnel. Des gros trucks tiraient des remorques, tous gyrophares tournoyants en cette belle matinée du 29/07/2015. J’imagine des gardiens de la paix ou les forces de l’ordre sur des motos, des baudriers colorés assermentés avec des couteaux tournants qui schlinguent le super, des tas de bagnoles jaunes ou oranges, oui cela devait être vraiment exceptionnel. Il paraît que quelques heures auraient pu éviter ce massacre… Je suis mort.
J’espère finir en banc, pour que des niais me glyphes au blanco des messages capitaux, et que des amoureux se posent sur moi, parce que malgré tout, je vous aime, vous, les humains, c’est ma destinée. J’ai entendu qu’ils vont peut-être nous remplacer par d’autres… D’autres centenaires. Encore votre bon sens, sans doute. Déraciner des frangins de là où ils sont pour les remettre là, aux bords du champ et de la route. Cette langue noire bitume qui pue.
Allez, je suis mort, il faut que je dorme mais la pleine lune m'en empêche encore. Je vais compter les bateaux...

Prenez soins d’eux.
Veuillez recevoir mes amitiés les plus végétales.
Boisement.

Ce sont les vedettes qui ne sont pas toutes dans le golf qui passent?